13 novembre 2016

13.11.15

Il y'a 1 an j'habitais à Paris. J'attendais ce week-end depuis des semaines.

Après avoir passé la journée à travailler en me disant que j'aurais mieux fait de faire grève comme mes collègues médecins (pour profiter en fait d'un weekend à rallonge), je suis sortie à la bourre en lançant un "bon weekend" à la volée et j'ai couru avec ma valisette à roulette jusqu'au RER.

En attendant le train j'ai souri en réalisant que pour aller du 93 à Londres en transports il n'y avait qu'un seul changement, autant que pour rentre du boulot à chez moi.

J'ai donc posté mon trait d'esprit sur instagram, fière de moi et terriblement impatiente d'aller passer ce weekend en Angleterre avec mes amis.

J'ai retrouvé mon copain (mon ex donc, mais à l'époque c'était toujours mon copain) Gare du Nord et on a attendu patiemment d'embarquer dans l'Eurostar. J'ai envoyé un message plein de culpabilité à mes frères pour leur souhaiter un bon match. J'avais motivé tout le monde il y'a deux mois pour aller voir France-Allemagne en famille au stade de France (oui je vous ai jamais parlé de mon côté beauf qui adore le foot). Mon petit frère était moyennement emballé ("c'est chiant, y'a du monde, les métros sont bondés, faut faire la queue pendant des heures pour rentrer après") mais avec une grosse dose de chantage affectif ("allez viens y'aura tout le monde!!") j'avais réussi à le faire céder.

Puis une semaine après avoir pris les places, mon ex m'avait demandé "hmmm dis moi le match France-Allemagne, il tomberait pas pile poil le weekend où on était censés partir à Londres pour le concert de métal?". S'en étaient suivis deux heures de négociations en mode "mais si on part le samedi matin?", "mais si vous allez voir un autre concert le weekend suivant?", "mais si vous attendez qu'ils passent à Paris cet été?" et finalement on avait décidé de planter ma fratrie après avoir revendu nos places à des amis à eux.

18h30. On venait de passer les contrôles de sécurité.

Mon ex avait amené des copies à corriger. Il était beau. Je pense qu'il faisait exprès de ne pas voir que je le prenais en photo tandis qu'il prenait un air faussement concentré.

Etant donné qu'il m'avait prévenu qu'il passerait le trajet à finir ses corrections au lieu de jouer au Petit Bac avec moi (oui monsieur était littéraire mais je lui mettais des raclées monumentales au Petit Bac) j'occupais mes dernières minutes avant le départ à télécharger des podcasts d'Affaires Sensibles (alias mon émission préférée au monde) pour m'accompagner tout au long du trajet.

Le hasard faisant bien les choses (ou pas), je me suis donc retrouvée à écouter l'émission sur les attentats de Paris de 95. Je me souviens exactement m'être dit que c'était il y'a tout juste 20 ans, et que j'avais jamais réalisé le climat d'insécurité et de peur qu'avaient ressentis les parisiens, que c'était fou quand même de se dire qu'à l'époque des attentats pouvaient toucher la France, alors qu'aujourd'hui c'était vraiment pas quelque chose à laquelle on pensait quand on prenait le métro ou qu'on se baladait en ville.

On a du arriver sur Londres vers 21h15 heure française. Après avoir posé nos bagages à l'auberge, on a rejoins nos amis dans une petite cafet en centre ville. Ils étaient tout au fond du restaurant. Les mecs ont probablement commencé à s'enthousiasmer pour le concert du lendemain pendant qu'avec ma copine on a sûrement dû parler de nos patients de la journée. On a commandé des grosses boulettes de viande panée et autres réjouissances de la gastronomie anglaise (si on peut vraiment parler de gastronomie).

Quelques minutes après notre arrivée, on s'est tous mis à recevoir des messages de nos proches qui nous demandaient si on était à Paris et si on allait bien. Comme on était tout au fond de la salle, on ne captait pas la 3G et le restaurant ne proposait pas de borne wifi. On a donc commencé à répondre aux messages en demandant ce qu'il se passait. La copine qui s'inquiétait pour moi m'a répondu :

"Fusillades à Paris, explosion au stade de France, on sait pas trop ce qui se passe, pour le moment une trentaine de morts"




Autant dire que mon cerveau est resté bloqué sur explosion-stade de France-trente morts. En fait c'est même pas mon cerveau qui s'est bloqué, mais tout mon corps. J'étais figée sur mon téléphone, j'avais littéralement l'impression que le sol cédait sous mes pieds, comme la sensation de vertige qu'on ressent dans ses tripes quand on fait une montagne russe.

Heureusement une minute après (la plus longue de ma vie) je recevais un message rassurant de mes parents puis de mes frères, puis de tous mes amis présents sur Paris ce soir là, alors qu'on avait encore du mal à bien réaliser que tout ça était réel alors qu'à Londres la vie suivait son cours normal.

 J'ai passé la nuit dans mon lit superposé à actualiser les flux d'articles en continue du monde et de francetélévision, puis j'ai écrit trois mots sur facebook et j'ai essayé de dormir.



Jamais de toute ma vie je n'ai eu autant envie d'être sur Paris que ce soir là. C'est débile, j'aurais du me sentir en sécurité à Londres, remercié le ciel d'être parti ce weekend-là, mais j'avais juste envie d'être chez moi, de voir mes frères, mes amis, mes voisins, mon quartier, ma butte.

Je me souviendrais toujours du sentiment que j'ai ressenti en poussant la porte de mon appartement ce dimanche soir. J'ai caressé mon chat, je suis allée poser mes valises dans le salon et je suis tombée nez à nez avec des coussins rigolos que j'avais cousu 5 jours avant pour la petite fille à naître d'une copine.

J'avais l'impression d'avoir cousu ces coussins dans une autre vie, il y a des siècles, une vie qui n'avait plus rien à voir avec la vie que je menais aujourd'hui.

Une vie où ma seule préoccupation c'était de donner un bon arrondi à mon coussin goutte.

Comment est-ce que le monde, est-ce que mon monde, avait-pu changer autant en à peine cinq jours ?



Aujourd'hui je voulais rendre hommage à toutes les victimes du 13 novembre, à ceux qui ont perdus la vie ou un être cher, à tous ceux qui ont senti le sol se défiler sous leurs pieds en apprenant que leur proche était en danger et qui n'ont pas eu la même chance que moi, mes frères et mes amis.

Il y'a 1 an on était tous sur le point de voir notre petite bulle utopique se crever pour réaliser qu'en fait le monde était aussi moche dans notre pays qu'ailleurs. Je pensais qu'on avait touché le fond mais j'allais encore avoir de belles désillusions avec le débat sur la déchéance de nationalité, l'état d'urgence, la loi travail, le niveau des échanges de la primaire de l'UMP, le brexit, le racisme décomplexé dans les médias et sur les réseaux sociaux 24h sur 24, les Russes et la Syrie, Alep, Bruxelle, Istanbul, Nice, Orlando, je pourrais même pas citer tous les noms de ville, de villages et de quartiers tellement ce monde part en vrille.

Aujourd'hui Trump est le nouveau président des Etats-Unis, demain Marine Lepen sera au second tour des élections, et je sais même plus où je pourrais partir en weekend cette fois pour être loin de tout ça.

Au lieu de faire des cérémonies en grandes pompes où les politiciens essaient juste de montrer qu'ils sont les plus présents et les plus affligés par ce drame du 13 novembre, on ferait mieux d’œuvrer tous ensemble à rendre ce monde moins moche pour éviter que de tels drames se reproduise. Et je ne crois pas qu'aller bombarder des villages à l'autre bout du monde ou diviser les populations à des fins électoralistes soit la bonne solution pour ça.

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